Ramsès II : un règne d’ordre et de prospérité

Ramsès II enfant

Ramsès II enfant.

Figure emblématique dans la longue liste des pharaons d’Égypte, Ramsès II a souvent été présenté dans la littérature comme un pharaon-héros, un pharaon-modèle, voire un pharaon-miracle. Si l’on peut, à travers les différentes facettes de son règne, entrevoir la forte et indéniable personnalité qui fut certainement la sienne, il n’en demeure pas moins vrai que l’on doit se garder, en évoquant un si lointain personnage, de jugements excessifs. Toute approche subjective est dangereuse comme peut l’être également toute tentative de négation historique. En effet, prétendre, a contrario, que les soixante-six années de pouvoir de Ramsès II auraient été marquées par un vide absolu et, qu’excepté Qadech et le traité de paix, il ne se serait à peu près rien passé en Égypte à cette époque, tant sur le plan militaire que politique, économique et social, ne nous semble guère une analyse plus raisonnable. La documentation comme les monuments, et ils sont nombreux en raison de l’exceptionnelle longévité du roi, montrent qu’il faut sans doute avoir un jugement moins péremptoire, moins affirmatif.

Lorsqu’il monte sur le trône vers 1279 avant notre ère, Ramsès II hérite d’un royaume dont l’ordre intérieur a été en grande partie restauré par ses prédécesseurs, sans pour autant être à l’abri de menaces ou de convoitises. Soucieuse de son intégrité territoriale, à une époque où se recomposent de grands empires au Proche-Orient, l’Égypte doit faire face aux inquiétantes ambitions de ses voisins. Si Séthi Ier avait déjà perçu le danger en conduisant à l’extérieur quelques expéditions militaires, c’est néanmoins à son fils et successeur que revient, à peine cinq ans après son couronnement, la lourde tâche de mettre fin à ces prétentions grandissantes d’hégémonie. Même si elle ne fut pas, sur le terrain, l’extraordinaire épopée que nous a conté le Poème de Pentaour, la bataille de Qadech n’en demeure pas moins une action forte du règne de Ramsès II, sans laquelle le royaume n’aurait certainement pas connu la tranquillité et la prospérité qui s’ensuivirent. Elle suppose, en outre, que l’Égypte était en mesure d’affronter ses adversaires et cela, grâce à une importante mobilisation de ses troupes mais aussi à une réelle et efficace organisation. Des conflits de grande envergure comme celui mené contre la confédération hittite, révèlent un art de la guerre confirmé, dont Ramsès II fut certainement, après Thoutmosis III, l’un des plus actifs et compétents stratèges.

Jalon sur la voie devant ouvrir une ère de stabilité pour le royaume d’Égypte, Qadech ne fut pas, cependant, le seul conflit qui occupa les premières années de règne du jeune roi. Ramsès II dut encore batailler pour mieux définir les limites de l’influence égyptienne, soumettre à un contrôle rigoureux les contrées conquises et placées sous tutelle, enfin protéger davantage les frontières territoriales par tout un réseau de forteresses. Ce n’est qu’au prix de ces efforts répétés au fil des ans, et de difficiles tractations diplomatiques, qu’un traité de paix, signé en l’an XXI avec Hattousil III, put mettre fin, pour un temps, au fracas des armes.

Maître en matière militaire, Ramsès II ne fut pourtant pas que cela. En effet, on ne peut nier que son règne fut également marqué par un rayonnement économique incontestable qu’inaugurent notamment la réouverture de mines et de carrières, l’extension et l’exploitation intensive de domaines agricoles, auxquelles s’ajoutent notamment les entrées régulières de tributs que l’on doit à la mise en place de solides structures administratives, installées aux marges du royaume. Après les affres de l’époque amarnienne, une certaine dynamique a repris corps dans la Vallée et, bien plus que ses prédécesseurs immédiats dont le rôle ne fut certes pas négligeable, Ramsès II apparaît comme le principal maître d’œuvre de cette tangible croissance. À Thèbes-Ouest, son château de millions d’années (Ramesseum), en cours d’exploration, permet de mieux comprendre aujourd’hui, par l’étude de ses composantes économique, administrative et sociale, comment s’organisaient, à l’échelle régionale, la gestion de services étatiques et la redistribution de richesses accumulées par la Couronne.

Synonymes d’ordre et de développement, la stabilité comme la prospérité reconquises ont été certainement favorables à la véritable fièvre de construction dont témoigne, en particulier, ce règne. Depuis le Delta, où voit le jour une somptueuse résidence royale, aux temples et chapelles qui scandent les berges du Nil jusqu’à la lointaine Nubie, c’est tout un pays, à travers sa population, qui s’est remis au travail pour honorer ses dieux et son maître. L’importance de chantiers, comme ceux de Karnak, de Louqsor, d’Abydos, d’Abou Simbel ou de Ouadi es-Seboua, soulignent avec bien d’autres exemples encore, tout le faste d’une Égypte, débordante d’activités, où contremaîtres et artisans peuvent exprimer tout leur savoir-faire et innover certaines techniques de construction ou de décoration. Dans la Vallée des Reines et dans la Vallée des Rois, la planification de prestigieux projets comme celui de la tombe de Nefertari, ou comme celui, gigantesque et même fort audacieux, du complexe funéraire réservé aux fils du roi, révèlent tout autant, que Ramsès II avait su s’entourer des élites de son temps. D’autres arts, comme ceux de la poésie ou de la littérature en général, ne sont pas en reste dans ce que l’on pourrait appeler l’héritage culturel et intellectuel de ce règne, si l’on songe que c’est au cours de ces décennies, que la langue connut aussi une féconde évolution, en particulier perceptible dans la rédaction des recueils classiques, dont le vocabulaire courant s’est considérablement enrichi de mots nouveaux.

Si, pour sa part, la main d’œuvre étrangère présente en Égypte a, dans une certaine mesure, contribué à cet épanouissement général, celle-ci en reçut en échange des compensations, parfois même des privilèges. La garantie, pour ces communautés d’expatriés, d’observer leurs traditions et leurs coutumes, de pratiquer leurs cultes, voire les possibilités d’intégration ou de promotions parfois fulgurantes qui s’offraient à certains de leurs ressortissants, ne sont certes pas une innovation de Ramsès II, mais reflètent toutefois la volonté d’ouverture qui caractérisait sa politique. De surcroît, les bonnes relations diplomatiques qu’entretenait la cour avec ses voisins d’alors, comme les mariages officiels qui unirent Pharaon à quatre princesses étrangères, au moins, ne sont pas sans avoir aussi participé à cette évolution de la vie sociale, dont bénéficièrent autochtones et étrangers résidant à l’époque dans la Vallée du Nil. Faut-il vraiment, dès lors, ainsi que l’ont suggéré certains égyptologues, placer, sous ce règne, l’Exode des Hébreux hors d’Égypte ? Il est bien difficile de l’affirmer, d’autant qu’aucune source écrite égyptienne ne fait allusion à cet événement particulier, auquel on a peut-être d’ailleurs donné une trop grande dimension ou teneur historique.

Ainsi, marqué par une stabilité politique, par une prospérité économique et par une tranquillité sociale, le règne de Ramsès II apparaît incontestablement comme un grand règne. Si c’est avec d’indéniables talents que ce souverain gouverna son royaume pendant des décennies et sut lui apporter un certain bien-être, il est clair, en revanche, que la surprenante longévité qui fut la sienne — il meurt vers l’âge de 90 ou 92 ans — constitua également, à un moment donné, un réel handicap. Comme tous les règnes qui s’inscrivent dans une trop grande durée, le dynamisme des premiers temps en vient à s’estomper, pour finalement laisser place à une stagnation paisible et résignée. À la mort de Ramsès II, l’héritage qui échoit à Merenptah, son treizième fils et successeur, est significatif : l’Égypte sereine mais déjà somnolente n’a pas vu poindre les nouveaux dangers qui menacent ses frontières et sa paix intérieure.

Lectures suggérées : K.A. Kitchen, Ramsès II. Le pharaon triomphant. Sa vie et son époque. Éd. du Rocher, Monaco 1985 ; Ch. Desroches Noblecourt, Ramsès II. La véritable histoire. Éd. Pygmalion, Paris 1996 ; T.G.H. James, Ramsès le Grand. Éd. White Star, Vercelli 2002 ; Ch. Leblanc, Nefertari l’Aimée-de-Mout. Epouses, filles et fils de Ramsès II. Éd. du Rocher. Monaco 1999.