Histoire de la nécropole

La première occupation du site correspondrait à la XVIIIe dynastie. Les règnes de Thoutmosis Ier, de Thoutmosis II, d’Hatshepsout, de Thoutmosis III, d’Amenhotep II et d’Amenhotep III, voire d’Amenhotep IV sont représentés par des tombes-puits, comprenant une cheminée creusée dans la montagne, débouchant sur un ou plusieurs caveaux aux parois dressées, mais non décorées. L’absence de toute trace de superstructure, suggère, par ailleurs, que ces sépultures ne comprenaient pas de chapelles funéraires. Seuls les vestiges de mobilier funéraire (vases-canopes, chaouabtis, vaisselle céramique, papyrus et étoffes de momification, etc…) ont permis d’identifier quelques-uns des défunts inhumés à cette époque : on y relève essentiellement des princes (tels Ahmès, Minemhat, Baki, Menkheperrê), et des princesses (telles Hatnefer, Ahmès, Ourmeroutès, Merytrê I, Merytrê II, Tyaa), quelques courtisans ou dignitaires (tels Nebiri, Nehesy, Imhotep, Nebamon, Kari), enfin un certain nombre de khekerout nesout (« les protégées du Roi » : personnages qui étaient apparemment chargés d’élever les enfants royaux).

La Vallée des Reines connaît un développement beaucoup plus organisé à partir de l’époque ramesside : dès le tout début de la XIXe dynastie, elle forme le véritable pendant de la Vallée des Rois, et les chantiers en sont confiés, comme pour cette dernière nécropole, aux artisans de la set maât (Deir el-Medineh). Contrairement à celles de la XVIIIe dynastie, les sépultures, véritables appartements funéraires, sont désormais décorées. Thèmes iconographiques et textes s’inspirent essentiellement du Livre des Morts. Ramsès Ier y fait préparer la tombe de sa grande épouse, Satrê [VdR 38]. Séthi Ier y fait aménager d’avance, bien que, pour la plupart, elles ne furent jamais personnalisées au moment de leur conception, plusieurs sépultures. C’est à ce règne, en effet, qu’il convient sans doute de rattacher les tombes [VdR 31], [VdR 33], [VdR 34], [VdR 36] et [VdR 40], toutes d’un plan très proche et regroupées dans un même secteur de la nécropole, le long de la branche latérale sud du ouadi principal.

Ramsès II fait, visiblement, le choix d’un autre quartier, puisque c’est au bas du versant nord du ouadi principal que sont rassemblées les « demeures d’éternité » qu’il fait mettre en oeuvre pour sa mère, la reine Touy [VdR 80], pour son épouse Nefertari [VdR 66], pour plusieurs de ses  filles-épouses : [VdR 60 = Nebettaouy], [VdR 68 = Merytamon, fille aînée de Nefertari], [VdR 71 = Bentanta, fille aînée d'Isis-Nofret], [VdR 75 = Henoutmirê], enfin pour deux princesses [VdR 73 = Henouttaouy, fille de Nefertari] et [VdR 74 = princesse anonyme, dont la tombe fut remaniée plus tard pour Douatentipet, grande épouse royale de Ramsès IV]. A cette époque, un hameau s’installe au coeur de la Vallée des Reines, petite agglomération qui sera toujours en activité durant la XXème dynastie. Là, comme est venu le confirmer le matériel découvert dans le contexte des habitations (dont les ruines retrouvées ont été restaurées), vivaient quelques-uns des artisans de Deir el-Medineh travaillant aux tombes royales et princières.

Sous le règne de Ramsès III, les nouveaux chantiers engagés sont mis à exécution au bas du versant sud-ouest du ouadi principal et au fond de la branche latérale sud. Le programme comprend le creusement et la décoration de plusieurs sépultures princières [VdR 55 = prince Amon-(her)-khepshef], [VdR 53 = prince Ramsès-(Meryamon)], [VdR 44 = prince Khaemouaset], [VdR 43 = prince Seth-her-khepshef], [VdR 42 = prince Parêherounemef] et celles de deux des grandes épouses du roi : [VdR 51 = Isis, mère du futur Ramsès IV ; tombe complétée sous le règne de Ramsès VI], [VdR 52 = Tity, mère présumée des princes Khaemouaset, Amon-(her)-khepshef et Ramsès-Mery-amon]. Deux autres tombes, au moins, seront mises en chantier durant ce règne, mais resteront inachevées [VdR 41 = anonyme, et VdR 45 = anonyme]. Le Papyrus de Turin [cat. 1923, v° 17] mentionne la préparation de six sépultures dans la Vallée des Reines à l’époque de Ramsès VI, mais aucune trace n’en a été, jusqu’à ce jour, repérée.

Au cours de la XXe dynastie, et plus précisément à partir de la seconde moitié du règne de Ramsès III, une série de désordres économiques et de troubles sociaux aboutit à des grèves, puis à la profanation des tombes royales vers la fin de la XXème dynastie. La Vallée des Reines n’échappe pas à ce sacrilège. Plusieurs commissions d’enquête, consignées sur papyrus [P. Abbott, P. Meyer A, P. Ambras, Giornale della Necropoli di Tebe] et auxquelles font suite des procès, mettent en évidence le pillage des tombes de plusieurs souveraines, dont celle d’Isis [VdR 51]. Il est probable qu’après ces tragiques événements, les momies des reines et des enfants royaux de l’époque ramesside aient été transferées par les prêtres dans une « cachette » sans doute hors de la nécropole, comme ce fut le cas pour les pharaons du Nouvel-Empire. C’est du moins ce qui pourrait expliquer qu’aucune dépouille des personnages inhumés dans la Vallée des Reines au cours des XIXe et XXe dynasties, n’ait été retrouvée durant les fouilles archéologiques anciennes ou récentes.

La Troisième Période Intermédiaire marque une transition dans l’histoire de la nécropole, puisque, à partir de la XXIIème dynastie, la majorité des sépultures pillées, fait l’objet d’une première réutilisation qui s’étale jusqu’à l’époque saïto-perse. Transformées en concessions familiales et agrandies selon les besoins, elles accueillent à présent quelques membres du bas-clergé thébain (prêtres, purificateurs, chanteuses d’Amon) et surtout le personnel affecté au domaine agricole ou aux officines de parfumerie du dieu de Thèbes (arpenteurs, jardiniers, cultivateurs de fleurs, fleuristes et parfumeurs).

Une seconde réutilisation, beaucoup plus intensive, cette fois, est celle qui a pu être mise en évidence à l’époque romaine. Vers le iie s. de notre ère, les tombes de la Vallée des Reines —qu’il s’agisse de celles de la XVIIIe dynastie ou même de l’époque ramesside— sont systématiquement réoccupées. Dans certaines sont amassées jusqu’à plus de cent momies [VdR 15-16, VdR 34, VdR 39], entassées dans un dédale de corridors et de chambres qui rappelle étrangement le système des catacombes. Bien que ce cimetière populaire soit réservé aux habitants de Thèbes et des environs, on y trouve aussi, toujours à cette époque, plusieurs sépultures dans lesquelles ont été déposés des animaux momifiés : ibis et faucons, en particulier [VdR 3 et 4, VdR 9 et 10, VdR 11 et 12, VdR 53]. La quasi sanctification de la montagne thébaine, mais également la présence de sanctuaires tardifs installés dans la Vallée des Reines ou à proximité, tels ceux d’Antonin le Pieux (à l’emplacement actuel du Deir er-Roumi et à Medinet Habou) et du Qasr el-Agouz (de Djêmé), sont autant de raisons qui peuvent expliquer le regain de l’activité funéraire que connaît alors la nécropole.

Vers la seconde moitié du ive s., ta set neferou devient un refuge et un lieu de méditation pour les anachorètes et les ermites. Tombes, cellules, abris naturels, sont sommairement aménagés et habités. Le christianisme naissant se structure progressivement et les premiers monastères font leur apparition : sur les flancs de la montagne occidentale de Thèbes, on en dénombre au moins une dizaine, parmi lesquels, le Deir er-Roumi constitue, entre les vie-viie s., l’élément central de la laure établie dans la Vallée des Reines.